Dans Les Seize Plaisirs (éd. Good Heidi), Michel Chevallier, auteur genevois de romans policiers historiques, emmène ses lecteurs au cœur de la Rome des années 30. Secrets de la Renaissance italienne, intrigues politiques et enquête confidentielle rythment ce polar captivant.

Après L’Inconnue de Rome, comment s’est passée l’écriture de ce deuxième roman policier ?
C’était assez différent. Le premier, c’était une écriture non structurée : il s’ouvre sur la découverte d’un cadavre et, quand j’ai écrit cette ouverture, je n’avais aucune idée de qui l’avait tué ni pourquoi. Les choses sont venues au fil de l’écriture.
Le deuxième était un peu plus structuré. Celui-ci correspondait moins à une vague de fond, était plus cérébral.
J’ai pris un appartement à Rome pendant dix jours. J’ai fait une sorte de retraite d’écriture sur les lieux où se passe le livre, même s’il y a plus de 80 ans de distance entre l’époque du roman et aujourd’hui.
Le premier livre répondait à un besoin fort. Le second était-il davantage un défi ?
J’ai toujours su que je voulais faire quelque chose avec Rome. Le premier livre correspondait à un besoin que j’avais mûri pendant des années. J’ai commencé à l’écrire vers 55 ou 56 ans.Le deuxième ne répondait pas à un besoin aussi fort. C’était plutôt un défi : me dire « Michel, est-ce que tu es capable d’en faire un autre ? ». Je voulais aussi me prouver que je pouvais écrire un autre livre avec les mêmes personnages, éventuellement un troisième.

Justement, comment avez-vous retrouvé vos personnages ? Etait-ce difficile ?
Non, pas du tout. La seule difficulté est que dans L’Inconnu de Rome, le narrateur, Cesare, le jeune policier, vit un véritable roman d’apprentissage. Il sort de l’adolescence, découvre les femmes, la dictature, apprend à préserver son intégrité face à la police secrète.
Cesare Il avait franchi une étape, donc je ne pouvais pas le remettre dans la même situation. Il fallait réinventer Cesare avec un peu plus de poil au menton, si je peux dire.
Il est adulte, mais encore inachevé. De toute façon, on est toujours inachevé. S’il y a une caractéristique que Cesare gardera, c’est d’être en recherche. Il s’interroge sur lui-même, sur l’amour, sur les relations. C’est quelqu’un qui observe, qui s’étonne, qui essaie de comprendre, tout en ayant déjà certains acquis.
Qu’est-ce qui vous lie à Rome ?
J’ai grandi à Genève dans les années 60, dans une ambiance très pesante. A l’école, mes enseignants étaient nés au XIXᵉ siècle. Nous ne vivions pas le même siècle, j’ai envie de dire. Quant à la ville, parler de calvinisme n’était pas un vain mot.
À l’inverse, avec mes parents nous allions toujours en Italie en vacances. J’avais une nounou italienne, d’une humanité extraordinaire. C’était vraiment le jour et la nuit entre l’Italie et Genève. Et j’ai épousé une Romaine, ce qui n’est sans doute pas un hasard.
Comment avez-vous eu l’idée de ce nouveau roman ?
J’ai lu un livre d’une Anglaise intitulé The Beauty and the Beast, sur la Renaissance italienne. Il y a un chapitre sur l’invention de la pornographie, qui évoque seize dessins de Giulio Romano datant de 1524.
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Que sont devenus ces dessins ?
Ils ont été gravés à Rome par Marcantonio Raimondi, puis saisis et détruits sur l’ordre du pape. Cependant, certaines copies avaient déjà été envoyées vers le Nord de l’Italie. On en trouve encore au XIXe siècle, mais il n’existe ni dessins originaux, ni gravures de 1524. Cela m’a donné le point de départ de l’intrigue.
Je me suis dit que je tenais quelque chose avec cette histoire. Mais il fallait encore mettre ces gravures en situation.
Pourquoi avoir choisi Edda Mussolini et Galeazzo Ciano comme personnages clés ?
J’ai imaginé que ce couple fasciste possédait une copie de ce portfolio. C’était un point de départ logique. Leur vie privée est documentée. Edda, qui avait une relation très conflictuelle avec son père, accumulait les aventures masculines, et Galeazzo les aventures féminines.
Quelles recherches avez-vous faites pour rendre l’histoire crédible ?
J’ai notamment étudié les plans de Rome des années 30, noté les adresses exactes et visité des immeubles dont celui où vivaient Edda et Galeazzo. Inventer une Rome fictive n’aurait pas eu de sens. C’est aussi un hommage à la ville, à l’amour que Cesare lui porte.

Comment avez-vous construit l’enquête ?
Dans le premier livre, les enquêteurs sont promus à la police secrète, l’OVRA, en raison de leur réussite. C’est à ce titre qu’on leur confie l’enquête ultra-confidentielle sur la disparition du portfolio érotique. Elle doit être menée dans le plus grand secret car le coupable appartient obligatoirement au sérail. Et il a évidemment de mauvaises intentions.
Donc, et c’est le problème de mes enquêteurs et aussi le mien, par où commencer l’enquête ? Ils font pression sur une opératrice du téléphone pour qu’elle espionne la ligne du couple. Ils vont aussi progresser dans leurs recherches grâce à un montreur de singes à la Casa del Popolo. Le singe est dressé pour voler les portefeuilles des spectateurs. Les enquêteurs suivent le singe qui part avec un portefeuille, ce qui va les conduire à un indice important.
Ecrivez-vous déjà une nouvelle enquête de Cesare ?
Oui, j’ai une idée autour du trésor du Temple de Jérusalem ramené à Rome par Titus. Le trésor, qui était composé d’objets culturels, a disparu au milieu du IIᵉ siècle lors d’une invasion barbare à Rome. Ces objets ont été probablement volés. Cela m’a semblé être un point de départ intéressant pour mon récit. Je voulais aussi faire écho à des tensions contemporaines des années 1930 : la montée de l’antisémitisme dans le régime fasciste et l’encyclique de Pie XI en défense des Juifs, restée inédite après sa mort. À Rome, à cette époque, coexistent trois pouvoirs : le roi, le Duce et le pape. Ils ne sont pas forcément sur le même plan et n’ont pas le même rôle politique.






