Jeremy Ergas, thriller à la genevoise
Un serial killer à Cologny ! Jeremy Ergas, 38 ans, signe avec La machination (éd. Slatkine & Cie) un thriller original et captivant sur fond de littérature et de vieilles familles genevoises.
Les pages des thrillers débordent de serial killers. Tous plus fous, plus tordus et plus terrifiants les uns que les autres. Rien de bien nouveau donc. Sauf que ce tueur-là ne ressemble à aucun autre. D’abord, il sévit à Genève – autant dire que l’on frôle la science-fiction. Ensuite, il agit au nom de la littérature en trucidant allégrement un auteur genevois de best-seller au talent discutable, un éditeur parisien aussi vaniteux que prestigieux et un célèbre agent littéraire américain intéressé avant tout par le business. Et comme si ce n’était pas suffisant, le tueur fait preuve d’un raffinement suprême, tatouant sur le corps de ses victimes, dans une calligraphie parfaite, les commandements qu’il a enfreints : « Tu respecteras la littérature, car elle est sacrée », « Tu feras preuve de réflexion », « Tu n’écriras pas pour devenir riche… » Un travail d’orfèvre réalisé grâce à une machine construite par le tueur et qui rappelle celle de La colonie pénitentiaire de Kafka, un auteur qui a inspiré le deuxième roman de Jeremy Ergas, L’amitié (éd. Clinamen), écrit avec un ami, Nicola Demarchi. « Nous avions imaginé de compléter les romans inachevés de Kafka », explique-t-il.
Rien à voir donc avec l’univers du polar. « Je ne me considère pas comme un auteur de roman policier. La machination correspond à mon envie de toucher à tout, d’explorer différents genres littéraires. Cela étant, j’ai toujours bien aimé les polars: Agatha Christie, Sherlock Holmes, Simenon pour la langue ou encore les livres de James Ellroy, surtout Ma part d’ombre où l’on oscille entre biographie et roman. »
Ce n’est pourtant pas cette littérature qui a donné l’idée de son livre à Jeremy Ergas, mais bien La colonie pénitentiaire et son système totalitaire dont on décèle quelques vagues similitudes dans les méthodes et les comportements des personnages des policiers français et des agents du FBI de La machination, appelés en renfort pour élucider les meurtres du serial killer genevois.
Au-delà de l’intrigue, extrêmement bien construite, c’est un portrait de la société – avec une prédilection pour les vieilles familles genevoises – que Jeremy Ergas peint avec beaucoup de finesse, comme un observateur qui se tiendrait toujours à deux pas du coeur de l’action, juste assez proche pour la comprendre et juste assez loin pour ne pas être complètement happé. « J’ai grandi aux Etats-Unis et je suis arrivé en Suisse à l’âge de 10 ans, dit-il. J’étais au collège Calvin, mais j’ai toujours été un outsider. J’ai évolué dans ce milieu de la vieille bourgeoisie, tout en restant critique. Il m’a inspiré ces personnages sans grande curiosité pour le reste du monde. Je dirai que mon but est d’attaquer un système mais pas des individus ou des familles spécifiques. » Simplement de raconter une drôle d’histoire qui s’articule autour de trois protagonistes : Jean Cros, un journaliste, et deux écrivains, Rodolphe Lafarge et Ezra Sterling. « Je suis attaché à eux. Ezra est hors du temps, il se fiche de ce qui se passe autour de lui, il veut juste être tranquille ; Rodolphe est quelqu’un de très torturé, en révolte contre le milieu de la grande bourgeoisie dont il est issu. Il est plein de désirs contradictoires, mais c’est une bonne personne. Quant à Jean, il est très énergique, il ne se pose pas trop de questions, il n’a peur de rien. Ce sont des qualités que je n’ai pas, peut-être que je vis un peu à travers lui. »
C’est à son père que Jeremy doit son goût pour la littérature, même s’il ne l’a vraiment découverte qu’assez tard. « Mon père est un grand amoureux des livres, ce que je n’ai pas toujours bien pris quand j’étais jeune. Mais vers l’âge de 18 ans j’ai commencé à lire les auteurs de sa bibliothèque. A l’époque, j’avais lu Hermann Hesse que j’avais beaucoup aimé. Aujourd’hui, je lis assez peu de littérature contemporaine. Je préfère des auteurs plus anciens. Quant à l’écriture, j’ai commencé lorsque j’étais en lettres à l’uni mais avant, j’avais fait une matu scientifique.»
Pour lire comme pour écrire il faut du temps, un élément rare pour Jeremy qui jongle entre son entreprise d’enseignement de l’anglais par skype, Break Into English, qu’il a fondée avec son frère David, et sa vie de famille avec Azadeh, sa femme et sa première lectrice, et ses deux jeunes enfants Cyrus, 22 mois, et Ava, trois mois. « J’écris chez moi, tard le soir lorsque tout le monde est couché. En ce moment, c’est un peu difficile, mais cet été je m’y remets. »
Infos :
La machination
par Jeremy Ergas
Ed. Slatkine & Cie
https://www.slatkine.com/fr/31-slatkine-cie