La Genève internationale en 126 portraits
La Genève internationale dont tout le monde parle devient réalité sous la plume de l’écrivain genevois Zahid Haddad, qui signe avec son livre 126 battements de cœur pour la Genève internationale (éd. Slatkine) 126 portraits de personnalités connues ou moins connues qui l’incarnent.
Pourquoi ce nombre de 126 ? Est-ce un hasard ou correspond-il à quelque chose de précis ?
Je cherchais avant tout à raconter des histoires incroyables. Découvrir des parcours exemplaires, des entrepreneurs de la société civile qui présentent des réalisations pleines d’innovation, de créativité, d’altérité. Et qui portent le nom de Genève aux quatre coins de la planète. Cela a pris du temps, d’autant qu’une recherche par nationalité n’est pas chose aisée. Je me suis d’ailleurs vite rendu compte que quelques-unes auraient peu de chances d’être dans le livre, leurs représentants travaillant essentiellement dans les organisations internationales, comme me l’ont indiqué plusieurs diplomates que j’ai rencontrés. En plus, je m’étais fixé comme date de parution le 15 novembre 2020, qui correspond à la date anniversaire de la première réunion, à Genève, de la Société des Nations. Au final, après dix-mois de travail, le compteur s’est donc arrêté à 126.
On vous connaît pour votre roman Au bonheur de Yaya, la saga d’une famille du Proche-Orient, tout au long du XXe siècle. Avec votre dernier livre vous changez complètement d’horizon. Pourquoi ?
Il est vrai que la forme change complètement entre ces deux ouvrages, mais la démarche est la même : parler d’identité, de résilience. Mettre en avant des expériences humaines qui, au final, résonnent en chacun de nous. J’aurais d’ailleurs pu écrire un livre entier sur chacune de ces 126 personnalités, tellement chaque parcours m’a captivé.
Au bonheur de Yaya est l’histoire romancée d’une famille qui traverse l’Orient du vingtième siècle, ses turbulences, ses périodes de grâce. Le livre parle également d’émigration, de l’attachement à nos origines et… de gastronomie libanaise, un pan incontournable de ma propre histoire. C’est aussi et surtout la vie de Yaya, une femme à découvrir.
Avec 126 battements de cœur pour la Genève internationale, je suis revenu à mes études en relations internationales et à une décennie de mon parcours professionnel qui s’est essentiellement organisé autour de la place des Nations. À l’approche du centenaire de la première réunion à Genève de la Société des Nations, j’ai eu envie de rendre hommage à notre canton et à ce qui fait son rayonnement dans le monde.
Quels liens affectifs entretenez-vous avec cette Genève internationale ?
À chaque fois que je terminais la rédaction d’un portrait, je me sentais touché, parfois bouleversé par les confidences qui m’ont été faites. Par la confiance témoignée par chacune de ces 126 personnes. Aujourd’hui, je sens un lien spécial avec chacune de ces personnes, une connexion très particulière avec leur parcours et ce qu’elles ont pu vivre. Tous ces partages, tous ces messages constituent, pour moi, un cadeau unique dont je me sens un peu l’ambassadeur.
Cette sorte d’appropriation de Genève, où tout le monde se sent chez soi, me rappelle mes parents, et plus particulièrement mon père qui dirigeait une compagnie d’aviation et accueillait des visiteurs débarquant des quatre coins de la planète. Mes parents les emmenaient visiter Genève et la Suisse lorsque ma mère ne les accueillait pas autour d’un mezze libanais chatoyant. Quant à moi, j’écoutais, fasciné, toutes les langues qui s’exprimaient autour de moi.
Comment s’est construit le livre ?
Les débuts du livre correspondent à la fin de mon dernier contrat auprès d’une institution publique. J’ai ressenti le besoin de reprendre ma vie en mains, de lui redonner le sens qui dormait en moi. C’est ainsi que je me suis lancé. Je voulais écrire, non seulement pour moi, mais aussi pour les autres, ceux dont je raconte les histoires, comme ceux qui les lisent.
Après avoir réalisé quelques portraits de personnes que je connaissais personnellement ou de nom, j’ai reçu le soutien de plusieurs mécènes qui m’ont aussi exprimé leurs encouragements, eux-mêmes convaincus de l’importance de notre place internationale. De la même façon, le canton de Genève, la Loterie romande, Genève tourisme, la Ville de Genève et la Fondation Ernst Göhner se sont joints à ma démarche.
Pour la suite, j’ai pris mon bâton de pèlerin et rencontré un maximum d’interlocuteurs avertis qui gravitent autour de la place des Nations et que je remercie ici. Je passais aussi beaucoup de soirées à sonder mon réseau, les réseaux des réseaux, les tréfonds du web pour trouver les bonnes personnes à interviewer.
Côté photos, je voulais qu’elles intriguent, racontent une histoire, qu’elles montrent Genève, le personnage principal du livre. J’ai donc beaucoup parlé avec Aurélien Bergot, le photographe du livre, qui a porté un regard assez joyeux sur ses sujets, tout en finesse.
Au final, j’ai obtenu une image très originale de ce que peut être notre canton. Une mosaïque qui donne sens au monde qui bouge autour de nous, à ce que peuvent vivre les réfugiés, aux défis que nous devons relever pour préserver notre habitat, à l’importance de la culture dans nos vies. À ce qu’est Genève. Aux changements positifs que nous pouvons amener à notre monde… et bien sûr à nous-mêmes avant tout.
Cerise sur le gâteau, j’ai été mandaté en cours de route pour coordonner la parution d’une version anglaise ! Aujourd’hui, je suis en discussion pour une version espagnole…
Comment avez-vous choisi les personnes ?
En plus de ma volonté de représenter un maximum de nationalités et la société civile, j’ai choisi des histoires et des approches de vie qui me parlaient et dont il n’est pas toujours question dans les médias. Des projets proactifs, innovants, souples et proches de la réalité et des besoins du terrain. J’ai commencé avec des thématiques comme le développement durable, l’économie, les droits humains ainsi que l’éducation, dite « de qualité » et voulue par les objectifs de développement durable, qui est essentielle dans ma vision : nous avons énormément de place pour la réformer et construire des êtres humains libres et réfléchis, synonymes d’une société émancipée.
Puis, j’ai rencontré Omar Ba et Antoine Marguier, un peintre et un chef d’orchestre, qui m’ont ouvert les portes de la culture et d’une diversité que je n’imaginais pas : si les artistes du livre dévoilent un grand nombre de styles, ils montrent également un engagement pour promouvoir le dialogue, le partage… la paix.
Plus les choses avançaient, plus je sortais des sentiers battus, avec des personnes dédiées au changement social ou à notre santé émotionnelle, comme Barbara Bulc et Basseer Jeeawody, qui m’ont beaucoup fait réfléchir, à commencer par ma propre projection sur le monde. Comment imaginer que ce genre de thèmes pouvaient être portés si haut avec des ambitions planétaires ?
Certaines vous ont-elles particulièrement marqué ?
Maintenant que le livre est terminé, il m’arrive d’imaginer 126 personnes réunies dans mon salon. Cela n’est pas possible ! C’est là que je vois encore plus l’impact qu’elles peuvent avoir. Ce qu’elles ont réalisé peut paraître facile, une succession aisée d’événements, mais il y a beaucoup de travail derrière, de l’opiniâtreté.
D’ailleurs, certaines ont inspiré ma réflexion sur ce que je suis et souhaite devenir. Sur mon positionnement dans mes relations interpersonnelles. D’autres m’ont ému par leur force, leur résilience, leur bienveillance envers l’Autre, même celui qui se trouve à des milliers de kilomètres, dans une réalité inconnue de nous.
J’étais aussi frappé de relire notre histoire contemporaine en filigrane des parcours de celui qui a connu l’empire colonial belge, de celle qui, trentenaire aujourd’hui, est née en Union soviétique ou de celui, encore, qui est né dans un camp de réfugiés. Tout cela remet beaucoup nos existences en perspective. Pour tout cela, je suis extrêmement reconnaissant ! À travers mes propres expériences, j’ai pu saisir d’autres réalités. Toutes m’ont touché d’une façon ou d’une autre.
Pensez-vous que Genève pourra conserver à l’avenir sa dimension internationale ?
Mon souhait est de voir plus d’interactions entre ce que l’on appelle, parfois un peu sommairement, la « Genève locale » et la « Genève internationale ». Qu’il y ait plus d’intérêt des deux côtés et que toutes les compétences soient utilisées pour le bien-être commun. Genève prendrait alors un nouveau visage. Parmi les « 126 », beaucoup collaborent avec l’ONU et ses agences, les font connaître ou les mettent à l’honneur. Et vice-versa, bien sûr. Il faut encourager cela. Cette place unique dans le monde qu’est la « Genève internationale ». À cet égard, de nombreuses personnes m’ont rappelé que « chaque jour, des individus sont concernés, un peu partout sur la planète », par ce qui est décidé et mis en place à Genève. C’est extraordinaire, surtout lorsque l’on sait que Genève occupe une place prépondérante par rapport à des enjeux relatifs à la paix, à la santé globale, aux droits humains ou à la recherche. À nous de savoir si et comment nous souhaitons garder cet ADN-là.
Quel est votre premier souvenir lié à la Genève internationale ?
Dans mon enfance, mon père nous emmenait avec ses convives internationaux dans un restaurant, la Taverne du Valais à Aïre, connu pour sa charbonnade, où chacun trouvait une langue ou des expressions en commun pour discuter, rigoler et refaire le monde. C’est cette communauté qui me vient l’esprit, comme symbole. Comme une sorte de nation unie. À l’instar des 126 battements de cœur…
Info
126 battements de cœur pour la Genève internationale
(126 Heartbeats for Geneva International)
par Zahid Haddad
Ed. Slatkine
zahiinthecity sur instagram
www.linkedin.com/in/zahi-haddad
Photos: Aurélien Bergot