Par Eugénie Rousak
La première ligne de trains à crémaillère en Europe a ouvert il y a 150 ans. Cette innovation technologique a depuis définitivement changé l’image de la reine des montagnes, le Rigi.
Surplombant la Suisse allemande, le Rigi a un emplacement de choix. Situé entre les cantons de Lucerne et de Schwytz, le mont offre ainsi une vue d’exception sur les lacs de Zoug, de Lauerz et des Quatre-Cantons. D’ailleurs, même l’origine de son nom serait une référence au terme latin regina montium, autrement dit, la reine des montagnes. Enfin, selon l’une des versions! L’autre théorie voudrait que le nom soit un dérivé de l’allemand riginen, rayures ou bandes en français, d’après la structure géologique en lignes d’herbe et de roches qui couvrent ses faces. Selon la légende, c’est justement ces paysages que survolaient les dragons, qui vivaient entre le mont Pilatus et le Rigi.
Après les créatures magiques du Moyen-Âge, les pèlerins venus de différents horizons ont commencé à tracer leur route par le Rigi. Progressivement, leur nombre est devenu si important que les chapelles ont dû être agrandies et quelques hébergements très rustiques ont vu le jour. Progressivement, l’ouverture d’hôtels plus prestigieux, et notamment le somptueux grand hôtel Schreiber, offrant près de 300 lits, ont ouvert la reine des montagnes à une tout autre clientèle. Même si le tourisme prend de l’élan, la montée reste complexe et longue jusqu’aux années 1870.
Mais cette difficulté sera résolue par un certain Niklaus Riggenbach. D’origine alsacienne, il se passionnait pour les chemins de fers innovants et créatifs. D’ailleurs, son premier projet aurait pu être la traversée du Gothard, mais faute de notoriété et de moyens pour sa réalisation, il ne s’est pas concrétisé. Cela dit, grâce à ce premier refus, il a su rapidement séduire le Parlement cantonal lucernois par son projet atypique de la remontée Vitznau-Rigi. Le 21 mai 1871 marque le lancement de la toute première locomotive à vapeur N°7 sur les côtes abruptes du Mont Rigi, coïncidant symboliquement avec le jour des 53 ans de son créateur. D’ailleurs, c’est le premier chemin de fer de montagne à crémaillère d’Europe. Pour un pays montagnard, sa création l’a directement propulsé au rang des créations helvètes les plus connues, alors que la ligne longue de 5 kilomètres est devenue le symbole de la popularité du Rigi !
De nouvelles technologies
Depuis, des innovations techniques ont été régulièrement mises en production. « En 1906, la ligne Vitznau-Rigi réalise son premier trajet en hiver, ce qui permet de proposer une nouvelle offre d’activités. Pour faciliter le nettoyage des rails, une souffleuse à neige est venue rejoindre notre parc de locomotives en 1930 », précise Tobias Ernst, mécanicien et conducteur des trains de la Rigi Bahnen. L’électrification de la ligne entre Goldau et Rigi Kulm (sommet du Rigi) en 1906 en a même fait le tout premier chemin de fer à crémaillère électrifié au monde!
Bien entendu, ces changements ont nécessité également l’adaptation des locomotives aux nouvelles technologies et types de clientèle. Si différents modèles se sont substitués au fil de l’histoire, le plus connu reste sûrement la légendaire locomotive n°7. Tendrement surnommée la s’Sibni, elle a été construite par Schweizerischen Lokomotiv- und Maschinenfabrik SLM à Winterthur en 1873, succédant ainsi à ses prédécesseurs aux numéros 1 à 6. La grande particularité de cette locomotive à vapeur à crémaillère est sa chaudière verticale, ingénieuse idée qui permet à l’eau de rester dans les tubes de chauffage malgré la forte pente. Après 64 ans sur les rails du Rigi, ce bijou de l’histoire ferroviaire suisse s’est fièrement installé au Musée des Transports à Lucerne, à quelques kilomètres de là, mais sans pour autant s’y enraciner. Ainsi, la Lok 7 sort régulièrement retrouver les paysages si familiers qu’elle arbore fièrement depuis sa remise en état de marche en 1996. Surtout pour cette année anniversaire des 150 ans !
Parmi les autres pièces remarquables du dépôt de Vitznau, il y a également deux wagons Belle Époque. Dans les tons rouges aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur, ils sont aménagés en carrés de divans autour des tables, organisation propice à la dégustation à bord du train !
Un autre modèle a récemment fait la une de la presse. Les véhicules à moteur Rigi Bahnen n°1 et 3 ont chacun franchi la barre d’un million de kilomètres au compteur au mois de mai, au bout de 84 années de bons et loyaux services !
« Les derniers trains véhiculés de notre parc sont les numéros 21 et 22, mis en service en 1986. Ils parcourent la pente à une vitesse de 25 km/h à la montée et 14 km/h à la descente ! Nous sommes impatients d’accueillir le nouveau modèle qui viendra rejoindre notre flotte au cours de cette année anniversaire ! », sourit Tobias Ernst.
Le développement de la ligne de chemin de fer a indéniablement changé le cours de l’histoire de la Reine des montagnes, favorisant à la fois la ruée des touristes curieux et propulsant le Rigibahn au-devant de la scène ferroviaire internationale. Aujourd’hui, le sommet est accessible depuis Vitznau en un peu plus d’une demi-heure de trajet. Entre lacs et montagnes, monts et vaux, le Rigi, majestueux, premier messager des Alpes naissantes, trône de toute sa hauteur sur les berges.
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