A 31 ans, Titouan Claudet, le chef pâtissier de l’hôtel The Woodward, à Genève, a été désigné « Pâtissier de l’année » par le Gault & Millau Suisse. Artiste dans l’âme – ses pâtisseries hyper-géométriques sont des œuvres d’art gourmandes -, Titouan Claudet imagine des gâteaux qui autant aux papilles qu’au cœur, tant ils sont inspirés de la douceur de l’enfance.
Comment vit-on le fait d’être élu pâtissier de l’année ?
C’est une grande fierté et je suis heureux. D’autant qu’en Suisse, le Gault & Millau est le guide qui récompense le travail d’un chef pâtissier. Je perçois cette récompense comme la consécration d’un travail acharné réalisé durant trois ans à l’hôtel Woodward. C’est clairement aussi un travail d’équipe. Je n’aurais jamais pu arriver seul là où j’en suis maintenant. Ma pâtisserie s’est affinée au fil des mois et des années et c’est aussi grâce à l’équipe qui m’entoure et me soutient tous les jours que j’ai pu affiner mon style.
Est-ce qu’un titre n’est pas aussi synonyme d’une pression supplémentaire ?
Non, pour être honnête, ce n’est pas un titre qui va me mettre la pression. Ce n’est que du positif. Je n’ai pas la pression de me dire que maintenant je suis attendu parce que je suis pâtissier de l’année au Gault & Millau. Je me dis qu’on va continuer ce qu’on a toujours fait, le faire encore mieux dans nos deux restaurants, l’Atelier Robuchon et Le Jardinier, et dans le Comptoir Woodward. On va continuer à créer de belles choses, à prendre du plaisir et surtout à en donner à tous les clients qui viennent goûter nos desserts dans tous nos points de vente. Parce qu’au final, c’est ça l’essence de mon métier : faire plaisir aux gens.
Comment avez-vous découvert la pâtisserie ?
En fait, je voulais être cuisinier. Mais je me suis rendu compte pendant mes périodes de stage, notamment au Relais Bernard Loiseau avec Benoît Charvet, qui était chef pâtissier à cette époque. Je me suis vraiment retrouvé dans la façon de travailler, l’anticipation et aussi le côté artistique. Travailler le sucre, travailler le chocolat. Je trouvais qu’on pouvait faire plein de belles choses juste avec ces matières. Et j’ai trouvé ça presque magique.
C’est à ce moment que je me suis dit : « Non, je ne veux pas être cuisinier, je veux être pâtissier.» Je devais avoir 20 ou 21 ans. Il y a presque dix ans.
Vous souvenez-vous de gâteaux de votre enfance ?
Ma mère et ma grand-mère paternelle faisaient des gâteaux. La pâtisserie, c’est aussi des souvenirs. C’est un peu la madeleine de Proust. Je garde le souvenir de la compote de ma grand-mère et des crêpes. Ma mère faisait un gâteau à l’orange qui s’appelle le sévillan et un gâteau avec une mousse au chocolat. D’ailleurs, je l’ai goûté à nouveau et j’ai trouvé qu’il était un peu trop sucré.
Vous le lui avez dit ?
Oui et elle a été d’accord avec moi. Ma mère découvre d’autres choses avec moi lorsqu’elle vient me voir à Genève et son goût a aussi évolué. Cela étant, la pâtisserie reste liée à l’enfance. C’est comme le lait concentré sucré que j’adore ! Et pourtant il n’y a pas plus sucré que du lait concentré sucré. Mais j’ai le souvenir des petits berlingots que nous donnait ma mère à la fin de la journée quand elle venait nous chercher à l’école. Ce n’est pas quelque chose que je vais qualifier de bon, que ce soit en termes de goût ou pour le corps, mais c’est réconfortant. Une pâtisserie, c’est pour se faire un plaisir.
Il faut tout de même être courageux pour dire à sa mère que son gâteau n’est pas si exceptionnel…
Oui, mais ça va, ma mère est sympa. Et puis ce n’est pas comme si c’était mon frère, Mathieu, qui n’a rien à voir avec la pâtisserie, qui le lui disait. Le fait que cela vienne de moi aide à faire passer la remarque. J’ai aussi pris des pincettes ! Je n’ai pas dit que la recette était trop sucrée, mais qu’il faudrait peut-être baisser un peu le sucre.
Vous êtes le seul de la famille à vous passionner pour la pâtisserie ?
Oui, mon frère est ébéniste. C’est aussi un métier manuel avec une dimension artistique, mais totalement différent. Et dans ma famille, personne n’est issu de l’hôtellerie, de la restauration ou des métiers de bouche.
Que préférez-vous dans votre métier ?
Je suis tellement multi-casquettes que c’est maintenant une question compliquée. Mais la base du métier est quand même de créer de nouvelles choses, une viennoiserie ou un dessert.
Je réfléchis, par exemple, à un dessert à la châtaigne et, en parallèle, à une viennoiserie également à la châtaigne. C’est la partie créative, ça vient par vagues. Parfois j’ai un peu peur, je me dis que je n’ai plus d’idées. Et puis après, cela repart. Je pense à plein de choses pour des viennoiseries ou un dessert à l’Atelier Robuchon ou un petit gâteau au Comptoir Woodward.
J’aime beaucoup la partie création. C’est certainement la plus intéressante même si ce n’est pas forcément la plus facile. Il y a certaines contraintes à respecter, bien sûr, mais il y a surtout cette ambition de vouloir faire ce qui n’a jamais été fait.
La partie visuelle est celle qui demande le plus de travail. On peut reprendre des choses qui ont déjà été faites, c’est facile. Mais le travail est moins valorisant que faire des desserts qui sont uniques. Ici, tous nos desserts ont des histoires.
Le dessert dont vous êtes le plus fier ?
C’est compliqué parce qu’il y a l’Atelier Robuchon, le Comptoir et le Jardinier. Et il y a différentes fiertés aussi. Par exemple, celle d’avoir créé quelque chose qui n’existait pas avant, comme l’interprétation du tiramisu à l’Atelier Robuchon avec cette forme en grain de café. C’est quelque chose que l’on n’a pas vu avant.
Il y a aussi la meringue crème qui est présente dans nos deux restaurants. Elle n’est pas conventionnelle. La double crème est toute fine comme un voile.
L’important est de conserver l’essence d’un dessert. Une poire Belle-Hélène sera proche du dessert classique. Par contre, visuellement et même gustativement, en matière de texture notamment, il y aura vraiment eu un travail.
Votre dessert préféré ?
Au Comptoir, je dirais que c’est la Mosaïque parce qu’elle représente vraiment la simplicité, mais aussi la complexité dans les textures et aussi le côté réconfortant du chocolat et des souvenirs des gâteaux au chocolat qu’on mangeait quand on était petit.
À l’Atelier Robuchon, ce serait le grain de café dans l’esprit d’un tiramisu. Il a vraiment dans l’assiette le visuel d’un grain de café, mais avec plein de textures à l’intérieur.
Et au Jardinier, c’est effectivement le voile de meringue. Je travaille en ce moment le kumquat, l’orange et le pamplemousse. Pour le twist, une touche de poivre de Timut.